«Les écosystèmes sont résilients, de nombreuses créatures s’adaptent extrêmement bien»

Sophie Martin est membre du Conseil suisse de la science depuis cette année. Dans cette commission, la biologiste de l’Université de Genève désire relayer les préoccupations de la recherche fondamentale et représenter les intérêts des femmes.

Madame Martin, Félicitations pour votre élection au Conseil suisse de la science ! Pourquoi vouliez-vous adhérer à cette commission ?

Sans chercher à devenir membre, j’ai été approchée dans ce sens, ce qui m’a réjouie. En tant que membre du CSS, j’ai désormais l’opportunité d’y discuter avec mes collègues de questions au-delà de celles qui nous préoccupent dans mon laboratoire et qui touchent toute la société pour y chercher des réponses. Cela porte au-delà de mon activité de chercheuse.

 

Comment vous représentez-vous vos nouvelles tâches ?

En premier lieu, je souhaite découvrir et observer les discussions en cours, puis j’y apporterai mes contributions. De manière générale, je suis ouverte à de nombreuses thématiques et n’ai pas d’agenda. Avant tout, je tiens à représenter le point de vue des sciences fondamentales dans lesquelles je suis active. D’autres membres du Conseil travaillent dans des domaines distincts. Leurs points de vue m’intéressent beaucoup.

Sophie Martin est membre du Conseil suisse de la science depuis 2024, Copyright: unige.ch

Si vous aviez une recommandation à formuler au Conseil fédéral, que lui diriez-vous ?

Ce qui me tient à coeur : la recherche fondamentale (recherche bottom-up). La Suisse a élaboré de bonnes conditions dans ce sens, mais il est important de les préserver. La recherche fondamentale n’est pas orientée vers une application déjà existante ; dans le meilleur des cas, elle conduit à une découverte inattendue et inconnue. Il est compréhensible que la société attende de la science des solutions à ses problèmes, mais les sciences ne sont aptes à résoudre des questions que si un travail de fond a été fourni au préalable. Cette recherche n’est pas toujours productive car ses résultats ne peuvent pas être planifiés, mais elle est essentielle. Et encore un point : la Suisse devrait réintégrer le plus rapidement possible les programmes de recherche européens (Horizon Europe). La recherche ne connaît aucune frontière et vit de la libre circulation des idées.

 

Biologiste moléculaire, vous travaillez dans la microbiologie. Comment liez-vous votre domaine de recherche aux grands défis de notre époque, comme par exemple la disparition de certaines espèces ?

Mon travail n’est pas en relation directe avec la disparition des espèces, le réchauffement climatique ou les changements environnementaux. En laboratoire, j’étudie l’organisation des cellules en utilisant la levure comme modèle de recherche. Nous cherchons à comprendre comment les cellules grandissent et s’adaptent. Notre travail crée une base de connaissances fondamentales qui peut servir à comprendre la disparition des espèces, mais aussi la propagation des maladies ou d’autres thématiques importantes.

 

Quelle est la gravité de la perturbation affectant les moyens de subsistance naturels ?

Comme je l’ai dit : la disparition des espèces n’est pas mon domaine de spécialisation. Toutefois, il me semble évident qu’elle est bien réelle et plus importante qu’en d’autres phases de l’histoire. La perte est immense. Mais il est difficile d’estimer quels effets la disparition des espèces entraînera pour la vie sur la planète d’une part, et pour nous les humains et par exemple les maladies qui peuvent se développer d’autre part. Les écosystèmes sont extrêmement résilients. En laboratoire, les cellules peuvent par exemple évoluer pour s’adapter à des températures extrêmes. Pourtant, il nous faut nous inquiéter du changement climatique et de ses effets sociétaux, notamment étant donné la vitesse des changements en cours.

 

Que peut apprendre la politique de la part des hautes écoles ?

Votre question concerne deux domaines différents. La recherche approfondit des aspects complexes et contradictoires, qui restent longtemps opaques, mais pour lesquels une nouvelle expérience, un nouveau résultat apportent une lumière qui les rend soudain très simples à comprendre. Au contraire, la politique opère souvent par des messages simples, aboutissant à un oui ou un non sur une question -cependant, le fédéralisme suisse précisément requiert des discussions et compromis différenciés. Je ne crois pas que le domaine de la politique et celui des hautes écoles puissent être mis en relation aussi simplement, comme le suggère votre question. Toutefois, ils ont certainement un aspect en commun: la nécessité de promouvoir activement l’égalité des genres. Les inégalités restent choquantes. Sur ce point, autant les hautes écoles que les politiques ont encore beaucoup à apprendre.

 

 

 

Sophie Martin est biologiste à l’Université de Genève et membre du Conseil suisse de la science. Elle a étudié la biologie aux Universités de Lausanne, Zurich et Cambridge où elle a terminé son Doctorat en biologie moléculaire en 2002. Puis elle a travaillé dans la recherche à la Columbia University à New York. En 2007, elle a rejoint le centre intégratif de génomique de l’Université de Lausanne. En 2018, elle obtient un poste de Professeure ordinaire à Lausanne, et en 2023 à Genève. Elle reste liée à l’Université de Lausanne par son titre de Professeure honoraire. Les domaines de recherche de Sophie Martin couvrent la polarisation cellulaire, la communication cellulaire et la fusion cellulaire.