Le CSS depuis 1965 : Son histoire du conseil politique

Pour son rapport annuel 2021, le Conseil suisse de la science CSS se présente en détail – en décrivant sa méthode de travail, ses principes et en se plongeant dans son histoire. Au cours de ses 57 ans d’existence, le CSS a contribué à répondre aux défis du système de formation, de recherche et d’innovation en Suisse en fournissant des conseils politiques dans une perspective de long terme.

 

L’histoire esquissée dans cet article a été recherchée et rédigée sur la base des rapports annuels du CSS. Le développement général du système de la formation, de la recherche et de l’innovation en Suisse a également été pris en compte.

La Crise de Spoutnik et la fondation du CSS

Le contexte qui a vu naître le CSS en 1965 est celui de l’essor mondial de la recherche scientifique après la Seconde Guerre mondiale. Suivant l’exemple des États-Unis, les pays occidentaux, dont la Suisse, ont développé leurs systèmes d’éducation et de recherche, passant rapidement d’une économie agro-industrielle à une «knowledge economy» au cours des décennies suivantes. En Suisse, de nombreuses universités, centres de recherches et autres organes, comme le Fonds national suisse ou le CERN, ont été créés durant cette période. En 1958, la crise du Spoutnik, ainsi que le succès du premier vol spatial réaliser par Youri Gagarine trois ans plus tard, fûrent des évènements importants, qui ont incité les pays occidentaux à accélérer cette transition, faute de quoi, ils couraient le risque de perdre la course à l’espace et la prééminence scientifique.[i]

En Suisse, cette transition rapide a engendré une forte demande en personnel hautement qualifié et elle a incité de nombreux étudiants à entreprendre des études universitaires. Les infrastructures et le personnel académiques, en particulier dans les universités cantonales, ont été mises à rude épreuve. L’attaché scientifique suisse à Washington dû même persuader les chercheurs suisses installés aux Etats-Unis de rentrer dans leurs pays pour pallier la pénurie de personnel hautement qualifié et renforcer la compétitivité internationale de la Suisse.

En 1962, le Conseil fédéral a mandaté la Commission pour la promotion de l’enseignement supérieur pour faire des recommandations à ce sujet. La Commission a proposé de suivre la suggestion de l’OCDE, qui avait exhorté ses États membres à créer des conseils scientifiques pour guider la politique scientifique de leurs pays respectifs. Le Conseil fédéral a suivi cette recommandation et a institué le CSS pour conseiller le gouvernement sur toutes les questions relevant de la politique scientifique, des hautes écoles et de la recherche. Bien qu’il n’ait, à ce moment là, pas encore de mandat légal (il le recevra en 1968 avec l’adoption de la Loi fédérale sur l’aide aux universités), le CSS s’est mis immédiatement au travail.

Un an après sa fondation, le Conseil a remarqué que «la Suisse a commencé à développer une politique scientifique cohérente bien plus tard que d’autres grands pays qui sont actuellement à la pointe de la recherche», et qu’il était donc «confronté à des défis que d’autres pays ont eu des années, voire des décennies, pour examiner et résoudre».[ii] Face à l’énormité de sa mission, le CSS a commencé par récolter des statistiques lui permettant d’avoir une vue d’ensemble sur le système FRI. Personne ne savait, par exemple, combien d’étudiants étaient inscrits dans les hautes écoles suisses. Ensuite, il s’est attaqué aux problèmes de l’enseignement supérieur, et en 1968, a publié son premier rapport, dans lequel il soutenait que l’expansion des hautes écoles et des écoles secondaires était nécessaire pour satisfaire la soif de savoir. Au cours de ces premières années, le CSS estima que l’une de ses fonctions principales était de «rassembler et de coordonner des idées et des forces productives à tous les niveaux de notre société».[iii] Il s’agissait donc de fournir des informations et des prévisions fondées aux décideurs politiques. À ce titre, le CSS n’a jamais cessé d’exhorter la Confédération à collaborer plus étroitement avec les cantons pour organiser des réponses orchestrées aux nombreux défis du système FRI.

 

Double échec des années 1970

L’harmonisation du système de formation était une priorité non seulement pour le Conseil, mais aussi pour la Confédération et pour d’autres acteur du domaine FRI. Mais la formation, de l’école maternelle à la haute école, relève de la compétence des cantons. En 1973, le peuple a dû se prononcer sur des articles constitutionnels sur la formation, qui visait à la redistribution des responsabilités en matière de politique d’enseignement supérieur et de recherche entre la Confédération et les cantons. Le Conseil a salué cette initiative, qualifiée de «très urgente», mais une majorité des cantons a finalement rejeté ces amendements.[iv] Une deuxième modification a été soumise cinq ans plus tard, sans succès. Le Conseil, qui avait participé à la préparation des deux lois, était très déçu, estimant que les problèmes de l’enseignement supérieur «ne pourront être surmontés que dans le cadre d’une véritable coopération entre les partenaires concernés».[v]

La même année, en 1978, le Conseil a publié son Troisième rapport sur l’expansion des hautes écoles, dans lesquels il jugeait qu’une impasse était atteinte et recommandait un changement de stratégie. Au lieu de poursuivre «l’expansion linéaire» du système de formation, l’accent devrait être mis sur l’intégration, en particulier «des écoles techniques supérieures, dans le paysage politique de la formation et de la recherche.» Puisque le double échec de 1973 et 1978 était en partie liée à une crainte que la promotion de l’enseignement supérieur se fasse au détriment de la formation professionnelle, renforçant ainsi le privilège des hautes écoles, le Conseil a proposé de changer cette «image négative» en transformant les hautes écoles en institutions publiques offrant des programmes de sensibilisation et de formation continue.

Après l’échec de 1978, le Département fédéral de l’intérieur a décidé de rétrécir son champ d’action et a invité tous les acteurs FRI, y compris le CSS, à soumettre des recommandations pour une nouvelle loi axée sur la politique de recherche. Le Conseil présente son rapport Objectifs de la politique de la recherche (OPR), qui préconise une stratégie politique décentralisée mais coordonnée. En 1983, la loi a été acceptée par votation populaire et confère au Conseil la tâche de fournir au Conseil fédéral un rapport OPR tous les quatre ans. Ces OPR servaient de base aux programmes multi-annuels mais aussi de directives pour la politique gouvernementale et la planification financière de la Confédération. Ces rapports sont ainsi devenus l’une des tâches principales du Conseil de cette période.

Le CSS était également chargé de surveiller les développements de la science, de la société et de l’économie pour identifier à l’avance les risques et les opportunités. Pour cela, il a mis en place un groupe de travail comprenant des personnes issues des milieux scientifiques, politiques, administratifs et économiques. Dans les années 1980, le Conseil a collaboré plus étroitement avec le gouvernement et, en conséquence, il a modifié la perception qu’il avait de son propre rôle. Il considérait que sa fonction était de pouvoir «créer des cadres de réflexion» et «susciter des activités politiques», sans pour autant les déterminer.[vi]

 

Promouvoir la recherche appliquée

Cependant, le problème récurrent de la demande des étudiants dépassant la capacité des hautes écoles n’était toujours pas résolu. En outre, il y avait de plus en plus de signes montrant que l’industrie suisse avait du retard sur des développements technologiques importants. L’enjeu était d’améliorer le transfert de science et de technologie vers les entreprises. En collaboration avec l’administration fédérale, les écoles techniques supérieures ont lancé une série de programmes, tels que CIM et Microsuisse, afin de stimuler le savoir-faire technologique dans les PME suisses. Ainsi, elles ont endossé un nouveau rôle de transfert de connaissances, du monde académique vers celui de l’industrie.

Une pression supplémentaire a émergé au début des années 1990. La formation de l’Espace économique européen (EFTA) a suscité d’intenses débats, qui se sont soldés par la décision de la Suisse de ne pas y participer. La nécessité de rendre le système FRI suisse plus compétitif et adapté au système en plein développement de l’EFTA (et plus tard de l’UE) était, désormais, particulièrement urgente. Un vent de réforme soufflait dans l’air et a conduit aux réformes fédéral de la maturité en 1994, à la création des hautes écoles pédagogiques et des hautes écoles spécialisées (HES) en 1995, et à la Loi sur l’aide aux universités et à l’accord de Bologne en 1999.

À la fin des années 1970 déjà, le Conseil s’était prononcée en faveur de réformes dans le domaine de l’enseignement supérieur, notamment en ce qui concerne les écoles techniques supérieures, les précurseurs des HES, et a alors «effectué un travail préparatoire important» pour les réformes des années 1990.[vii] A partir de 1991, le Conseil a également participé aux groupes de travail interdépartementaux et à la préparation de la procédure d’appel d’offres pour la création des HES. «L’accent» pour le Conseil devait toutefois rester sur « la nécessité de mettre en œuvre des réformes coordonnées au niveau de la maturité fédéral, de la formation professionnelle (maturité professionnel) et les institutions tertiaires (création de hautes écoles spécialisées).»[viii]

Une autre facette de cette coordination était la «compatibilité européenne» du système FRI suisse. Le Conseil préconisait depuis 1989, une «reconnaissance mutuelle des diplômes» et un «financement fédéral des programmes d’échange d’étudiants et de chercheurs».[ix] Cela a abouti au début des années 2000 avec la mise en œuvre de la Déclaration de Bologne, la création du système européen de transfert de crédits (ECTS) et des programmes d’échange comme Erasmus+.

 

Des réformes au CSS

Cet esprit de réforme, auquel le Conseil a contribué, a également eu des répercussions sur le Conseil lui-même. Bien qu’il ait acquis de nouvelles fonctions dans les années 1990, comme évaluer des choix technologiques et s’occuper de la politique de l’innovation, l’avenir du Conseil a fait l’objet de nombreuses discussions au début des années 2000. Par exemple, la règle selon laquelle le Conseil peut déterminer son propre programme de travail était remise en question mais finalement conservée. Ceci confirma l’importance de l’indépendance du Conseil. Cependant, le Conseil a perdu certaines de ses responsabilités, et donc également des moyens. L’évaluation des choix technologiques a été transféré aux Académies suisses des sciences en 2007 et la «politique de l’enseignement supérieur» a été retirée de son mandat. Dans le cadre de la politique de la formation, le Conseil continue désormais à se prononcer sur des thèmes liés à l’éducation. Dans ce contexte, il se concentre sur l’enseignement supérieur, mais s’intéresse également à d’autres niveaux de formation. Le CSS a, par exemple, examiné l’ensemble du système scolaire dans son étude sur la sélectivité sociale.

Au cours de ces dernières années, le CSS a renforcé sa position au sein du paysage FRI et s’est exprimé avec détermination sur des thèmes centraux comme la mobilité sociale ou la numérisation. En raison de la pandémie de Covid-19 et des relations difficiles entre la Suisse et l’UE, une grande incertitude règne actuellement dans le système FRI, générant à la fois des défis et des opportunités. La CSS se penche activement sur ces deux thèmes en adoptant, comme il l’a fait tout au long de son passé, une perspective à long terme pour améliorer le système de la formation, de la recherche, et de l’innovation en Suisse.

Pour en savoir plus sur l’histoire de la CSS, ainsi que sur le développement du système FRI, consultez notre rapport annuel, qui sera publié pour la première fois sous forme numérique au début du mois de mai.

 

 

 

[i] Hafner, Urs (2015). Vom Wissenschaftsrat zum Innovationsrat: Die historische Entwicklung des Schweizerischen Wissenschaftsrates in der Aussensicht, p. 13-14.

[ii] CSS (1967). Rapport Annuel 1966, p. 2.

[iii] CSS (1968). Rapport Annuel 1967, p. 4.

[iv] CSS (1972). Rapport Annuel 1971, p. 7.

[v] CSS (1979). Rapport Annuel 1978, p. 8.

[vi] CSS (1978). Rapport Annuel 1977, p. 15-17.

[vii] von Matt, H.-K. (2022). Die Schweizerischen Fachhochschulen: eine Biografie, p. 23-24.

[viii] CSS (1992). Rapport Annuel 1991, p. 15.

[ix] Ibid. 14-15.